08/11/2014
Le jardin des silences
Le jardin des silences, Mélanie Fazi
Acheté Mardi, commencé mercredi, achevé samedi... J'attendais avec impatience ce recueil. Pourquoi? Parce que, depuis la lecture des autres bouquins de Mélanie Fazi - nouvelles et romans - je guettais, j'espérais le moment où sortirait un «Fazi».
Il est ainsi des écrivains qui parlent au cœur, parce que la musique de leur écriture, pour ténue qu'elle soit parfois, pour trop rare qu'elle soit à mon goût, est empreinte de tant d'humanité, de sentiments, de force, de violence qu'elle ne peut laisser indifférent!
Je lis, beaucoup, vraiment beaucoup, de bons livres, des livres moyens, de mauvais livres - mais ceux-là, je ne les finis pas! J'adore lire, mais de temps à autre, me vient comme un découragement "oui, c'est pas mal, voire c'est bien, mais...". Mais où est cette étincelle qui fait briller les yeux, ce bouleversement qui chavire l'esprit et les tripes, cette sensation formidablement étrange et familière que l'auteur a posé juste les mots qu'il fallait, de la meilleure façon qui soit, pour raconter à l'oreille de son lecteur ses histoires?
Mélanie est de cette race-là, de ceux dont la petite voix s'insinue au creux de soi, pour ne plus en partir.
Dans Le jardin des silences, elle nous convie à un voyage au fond de soi, à travers douze nouvelles intimistes, mais qui lorgnent vers une émotion universelle. Presque toutes racontées en je, elles parcourent la palette des questionnements humains, en un itinéraire initiatique qui conduit vers la dernière, celle de l’accomplissement de soi, malgré les blessures et la souffrance.
Qu’elle parle de différence, d’étrangeté même, de conflits familiaux ou de violence conjugale, de rejet ou d’abandon, d’amour ou de désespérance, Mélanie réussit l’exploit d’être toujours juste, jamais mièvre, d’une délicatesse. Particulièrement juste lorsqu’il s’agit d’enfants et surtout d’adolescents, elle sait trouver les mots qui illustrent les sentiments de ses personnages, avec une grâce et une légèreté incroyable.
Ce qui est remarquable dans chacune de ses nouvelles, c’est la subtilité avec laquelle le fantastique vient ouvrir une porte dans un univers pourtant bien familier. Par petites touches, le lecteur suit le héros (et la plupart du temps l’héroïne) qui bascule dans un monde étrange, souvent menaçant.
Swann le bien-nommé, en un hommage explicite à Andersen, aborde les heurts entre belle-mère et beaux-enfants, tandis que L’autre route parle de ce fossé d’incompréhension qui se creuse parfois entre un père et sa fille, juste pour un moment d’égarement, pour une parole lâchée, sous l’emprise de la colère et de la souffrance, mais qui blesse si durement quand on est encore un enfant.
L’arbre et les trois corneilles est une nouvelle qui n’avait, a priori, pas grand-chose pour me plaire – surtout à cette époque de l’année (je n’ai aucun, mais vraiment aucun goût pour les « fêtes » de Noël) ! Et pourtant, elle a réussi à m’émouvoir aux larmes…
Les sœurs de la Tarasque évoque ces femmes que l’on force à se marier, que l’on donne ou que l’on vend, en un écho douloureux à une réalité bien présente encore de nos jours.
Quant à Dragon caché, il conjure ces femmes sorcières que l’on a pourchassées, ces enfants différents que l’on rejette, alors que les monstres, les vrais, poursuivent leur chemin.
Le jardin des silences prouve, s’il en était besoin, que Mélanie sait à merveille exprimer ces fulgurances de la jeunesse, celles qui poussent, par amour et désir d’absolu, aux pires décisions.
Trois renards tisse, sur le thème de la violence conjugale, une musique délicate et puissante, un cri de rage et d’espoir, d’une écriture subtile et toujours formidablement juste.
Je referme le livre, admirant au passage la magnifique couverture que j’avais un peu zappée dans ma hâte de me plonger dans la lecture, avec déjà l’envie de relire et de savourer encore les mots…
Merci.
21:01 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)
21/09/2013
Le cheval et l'ombre
Noël approche! Comment ça, je suis très en avance? Oui, d'accord, mais je voulais juste vous aider à trouver une excellente raison de faire un cadeau aux têtes blondes, brunes, ou rousses qui vous entourent, pour peu qu'elles aient une dizaine d'années, ou gardé une âme d'enfant, en leur offrant Le cheval et l'ombre, d'Aurélie Wellenstein.
Le cheval et l’ombre, c’est l’histoire de Tallia, une petite fille fascinée par les animaux, qui veut de toutes ses forces les protéger et les aider, même si son entourage, et en particulier sa mère, ne comprend pas toujours cette passion. Alors, quand Tallia croise, sur le chemin de l’école, la route d’un cheval fantôme – Tenebrae –, elle n’hésite pas une seconde et se précipite à sa rescousse. L’animal est poursuivi par des ombres de loups, et Tallia n’aura d’autre choix que de plonger avec lui vers le royaume magique d’Equinox, où tous les hommes ont été changés en animaux. Les ombres ont envahi le royaume, et le sorcier Molmorg en créé chaque jour de nouvelles. Tallia sera-t-elle de taille à briser la malédiction d’Equinox ? Aura-t-elle en elle assez de colère et de violence pour combattre le méchant ?
La fantasy et le fantastique se mêlent dans cette histoire prenante et la belle écriture d’Aurélie sert à merveille le récit. Le personnage de Tallia est parfaitement campé et l’on suit avec plaisir les aventures de la fillette au caractère bien trempé. L’imagination de l’auteur fait le reste, avec un univers subtilement décrit, et des rencontres inoubliables. Le méchant est vraiment méchant, mais l’auteur sait l’expliquer avec finesse et nous fait éprouver une ombre de compassion pour ce personnage. Les autres personnages (fanvals et humains) portent chacun leur part d’ombre qui les rend attachants et complexes. Tallia, quant à elle, est finalement une petite fille ordinaire, qui se lance dans une aventure extraordinaire ; elle n’en reste pas moins une enfant, avec ses peurs, ses doutes mais aussi son courage. Une enfant qui, fidèle à sa devise « ça passe ou ça casse », se lance à corps perdu dans un combat difficile, parce qu’elle a des convictions, ces convictions d’enfant qui déplacent les montagnes !
Aurélie Wellenstein réussit à nous proposer un roman jeunesse de belle facture, nourri d’une histoire forte et servi par une écriture élégante et précise.
En refermant le livre, je me suis dit « j’aurais adoré lire ça quand j’étais enfant ! », et tout de suite après « je me suis régalée à le lire maintenant ! ». Un agréable roman jeunesse donc, mais un roman à lire adulte aussi, si vous avez gardé une petite part d’enfance en vous…*
* cette chronique est initialement parue dans le Présences d'Esprits n° 76, je vous reparlerai bientôt de ce fanzine.
12:30 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)
26/02/2013
Orphelins de sang
Un conseil de lecture pour rester dans l'ambiance optimiste de la note précédente ;-(
Je viens de finir Orphelins de sang, de Patrick Bard. Aux confins du polar et du thriller, c'est surtout un roman noir, très noir.
Ça se passe au Guatemala, de nos jours. Le Guatemala, c'est ce petit pays d'Amérique Centrale, dont on ne parle guère dans nos contrées. Le Guatemala, c'est un pays déchiré par une guerre qui s'est soldée par le massacre de 200 à 300 000 personnes, en grande majorité des indiens. La corruption a gangrené toute la société, la police n'existe pas, les bidonvilles sont légion, les narco-trafiquants, alliés aux (ex) militaires font régner la terreur. On compte aujourd'hui plus de 4000 morts violentes chaque année (à savoir des meurtres). Le Guatemala peut même se vanter d'être parmi les pays les plus enclins au "fémicide" (le meurtre d'une femme parce qu'elle est une femme), on estime leur nombre à au moins 5000 ces dix dernières années.
Dans ce contexte d'extrème violence, Victor Hugo, un pompier qui rêve de devenir journaliste, va mettre le doigt sur l'horreur des enfants volés et revendus aux riches américains en mal d'adoption. Pas vraiment méchants, d'ailleurs, ces braves américains, juste aveuglés, juste décidés à ne pas se poser de questions. Quant aux kidnappeurs et à leurs commanditaires, il s'agit là d'un banal moyen de se faire du fric; revendre un enfant pour l'adoption, ou à un réseau pédophile, ou à des réalisateurs de snuff-movies, c'est du pareil au même, du business! Le vol et la vente d'enfants sont devenus une activité courante, comme l'explique justement l'un des protagonistes : "Dans les années cinquante, le Guatemala exportait des bananes. Aujourd'hui, il exporte ses enfants". Soutenu par les membres de l'association Mujer, Victor va mettre à jour la corruption et les complicités dont bénéficient ces réseaux.
Porté par une écriture nerveuse et impeccable, servi par un scénario particulièrement bien ficelé, on n'oublie pas de sitôt ces Orphelins de sang. Saississant portrait d'une société malade, bouleversante leçon de courage et dignité, parce qu'elle est digne, cette femme qui a réchappé de peu au meurtre et recherche inlassablement son enfant, il est digne aussi ce pompier qui va au bout de son enquête, malgré le danger encouru, elles sont dignes ces femmes de Mujer qui tentent de venir en aide aux malheureuses indiennes.
Lauréat amplement mérité des Prix Sang d'encre des lycéens 2010 et Prix Lion noir 2011, Orphelins de sang est un roman à lire absolument!
18:13 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)