12/07/2016
Un tout petit bout d'elles
Un tout petit bout d'elles, Zidrou et Raphaël Beuchot
Congo, de nos jours. Yue Kiang est un ouvrier chinois qui travaille sur un site d'abattage d'arbres. En fin de journée, Yue quitte le logement qu’il partage avec deux ouvriers. Contrairement aux autres, il ne va pas au “Coup de Bambou”, voir les nouvelles filles ukrainiennes qui sont arrivées, mais va retrouver Antoinette, son “amie” congolaise. La plantureuse jeune femme élève son enfant seule, et pour faire face, accepte les cadeaux de Yue. Pourtant, le mélange des cultures n’est pas apprécié par ici. Comme dit son patron, “Quand on mélange du jaune et du noir, ça fait toujours du noir”…
Un soir, dans la couche de sa belle gazelle, Yue découvre la blessure intime d'Antoinette : une cicatrice terrible, comme une injure à sa féminité. Combien sont-elles comme elle, exilées de leur propre corps, victimes d'une tradition aussi monstrueuse que tenace ? Combien ? Elles sont 150 millions de par le monde.
Mais qu'importe à Yue et Antoinette ces chiffres qui donnent le vertige. Seul leur importe Marie-Léontine, la petite fille d’Antoinette. Que jamais la fillette ne soit, à son tour, victime de cette tradition abjecte !
Un tout petit bout d’elles est le dernier tome de la Trilogie Africaine des auteurs, mais c’est un volume qui se lit tout à fait indépendamment des deux autres. Au centre du récit, un couple atypique : Yue, un jeune ouvrier chinois (les Chinois ont remplacé Belges et Français au Congo), et Antoinette, mère célibataire, qui se débrouille comme elle peut pour élever sa fille. Les rapports d’intérêt (sexe contre cadeaux) se sont transformés entre eux en ce qui ressemble bien à de l’amour. Au-delà de cette histoire d’amour particulière, qui pourrait être mièvre, cet opus parle surtout d’une épouvantable tragédie, d’une tradition absolument monstrueuse, qui mutile chaque jour des milliers de fillettes et d’adolescentes : l’excision. Yue est le témoin impuissant de cette sauvagerie.
L’album est plein de finesse, de sensibilité, il évite le piège de l’ethnocentrisme, en choisissant de mettre en avant la brutalité inouïe de cette coutume. Ses personnages sont particulièrement attachants, de Yue, le jeune ouvrier un peu perdu devant cette culture si éloignée de la sienne, à Antoinette, courageuse et déterminée, en passant par Marie-Léontine, la petite fille espiègle et gaie. Les deux jeunes gens décident de leur vie et de leur chemin, avec une détermination qui force l’admiration. Les dessins de Raphaël Beuchot illustrent à merveille le scénario tout en finesse et en révolte de Zidrou, offrant des pages particulièrement touchantes.
La postface propose des informations clés sur ces mutilations sexuelles encore en vigueur dans de très nombreux pays, et s’accompagne de témoignages poignants et d’adresses utiles.
Un album indispensable, plein de colère, de délicatesse et de force !
Éditions Le Lombard – Parution mai 2016 – 17,95 €
17:55 Publié dans Lecture BD | Lien permanent | Commentaires (0)
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