08/08/2016
Rêve d'Olympe
Rêve d'Olympe, Reinhard Kleist
Jeux Olympiques de Pékin, 2008 : Samia Yusuf Omar, 17 ans, représente la Somalie. Sur la piste, la jeune femme arrive bonne dernière, mais elle se surpasse et bat son record personnel. La public enthousiaste l'acclame et la soutient.
De retour dans sa Somalie natale, Samia ne compte pas en rester là. Toutefois, s'entraîner devient impossible : les fondamentalistes musulmans interdisent aux femmes de pratiquer une activité sportive.
Pour atteindre son rêve de participer aux jeux olympiques de Londres, en 2012, Samia tente le tout pour le tout et se lance dans une périlleuse odyssée pour rejoindre l'Europe.
C'est une formidable idée que d'aborder ainsi le sujet de l'immigration! Dans ce magnifique album, Reinhard Kleist donne un nom, un visage, une histoire à ceux dont on parle avec effroi, compassion ou répulsion, mais qui ne sont finalement à nos yeux que des fantômes, porteurs de nos peurs et de nos fantasmes, les migrants.
L'impact est d'autant plus fort que cette jeune femme, nombre de lecteurs se souviendront l'avoir vue courir aux JO de Pékin, l'une de ces images marquantes qui restent en mémoire à chaque Olympiade.
On s'attache tout de suite à cette jeune fille, puis à cette jeune femme, portée par l'amour de la course, prête à tout pour quitter l'horreur d'un pays où elle est menacée de mort, juste pour avoir osé vivre son rêve; son père, musulman éclairé, a d'ailleurs payé de sa vie son opposition aux intégristes Chabaab. On la suit, tandis qu'elle essaye d'échapper aux milices islamistes, puis lorsqu'elle fuit vers l'Éthiopie et la Lybie, avant de tenter la grande aventure, l'Europe. L'enfer des passeurs, la peur au ventre, la solitude, l'angoisse de laisser derrière soi sa famille, et puis l'espoir, insensé, irrépressible, celui qui fait prendre tous les risques.
On connaît l'histoire de Samia grâce aux messages qu'elle a envoyé à ses fans sur les réseaux sociaux, tout au long de son périple. Sa fin tragique, ce sont ses compagnons de zodiac qui l'ont racontée.
Le noir et blanc du dessin, aux ombres très travaillées, offre de la profondeur au récit et accompagne l'émotion ressentie à la lecture de l'épopée de Samia, porte parole sans le vouloir de ces "migrants" morts en Méditerranée, dont les informations égrènent le nombre quasi chaque jour...
La postface est signée par Pierre Henry, Directeur général de l'association France terre d'asile et rappelle à tous l'urgence de conserver (retrouver?) notre humanité face à ce drame des réfugiés qui frappent aux portes de l'Europe. Ce ne sont pas des monstres, pas des profiteurs, mais des hommes, des femmes, des enfants, qui, comme Samia, rêvent d'un avenir.
Une lecture incontournable!
Éditions La Boîte à Bulles — Parution Juin 2016 — 17,00 €
18:03 Publié dans Lecture BD | Lien permanent | Commentaires (0)
12/07/2016
Un tout petit bout d'elles
Un tout petit bout d'elles, Zidrou et Raphaël Beuchot
Congo, de nos jours. Yue Kiang est un ouvrier chinois qui travaille sur un site d'abattage d'arbres. En fin de journée, Yue quitte le logement qu’il partage avec deux ouvriers. Contrairement aux autres, il ne va pas au “Coup de Bambou”, voir les nouvelles filles ukrainiennes qui sont arrivées, mais va retrouver Antoinette, son “amie” congolaise. La plantureuse jeune femme élève son enfant seule, et pour faire face, accepte les cadeaux de Yue. Pourtant, le mélange des cultures n’est pas apprécié par ici. Comme dit son patron, “Quand on mélange du jaune et du noir, ça fait toujours du noir”…
Un soir, dans la couche de sa belle gazelle, Yue découvre la blessure intime d'Antoinette : une cicatrice terrible, comme une injure à sa féminité. Combien sont-elles comme elle, exilées de leur propre corps, victimes d'une tradition aussi monstrueuse que tenace ? Combien ? Elles sont 150 millions de par le monde.
Mais qu'importe à Yue et Antoinette ces chiffres qui donnent le vertige. Seul leur importe Marie-Léontine, la petite fille d’Antoinette. Que jamais la fillette ne soit, à son tour, victime de cette tradition abjecte !
Un tout petit bout d’elles est le dernier tome de la Trilogie Africaine des auteurs, mais c’est un volume qui se lit tout à fait indépendamment des deux autres. Au centre du récit, un couple atypique : Yue, un jeune ouvrier chinois (les Chinois ont remplacé Belges et Français au Congo), et Antoinette, mère célibataire, qui se débrouille comme elle peut pour élever sa fille. Les rapports d’intérêt (sexe contre cadeaux) se sont transformés entre eux en ce qui ressemble bien à de l’amour. Au-delà de cette histoire d’amour particulière, qui pourrait être mièvre, cet opus parle surtout d’une épouvantable tragédie, d’une tradition absolument monstrueuse, qui mutile chaque jour des milliers de fillettes et d’adolescentes : l’excision. Yue est le témoin impuissant de cette sauvagerie.
L’album est plein de finesse, de sensibilité, il évite le piège de l’ethnocentrisme, en choisissant de mettre en avant la brutalité inouïe de cette coutume. Ses personnages sont particulièrement attachants, de Yue, le jeune ouvrier un peu perdu devant cette culture si éloignée de la sienne, à Antoinette, courageuse et déterminée, en passant par Marie-Léontine, la petite fille espiègle et gaie. Les deux jeunes gens décident de leur vie et de leur chemin, avec une détermination qui force l’admiration. Les dessins de Raphaël Beuchot illustrent à merveille le scénario tout en finesse et en révolte de Zidrou, offrant des pages particulièrement touchantes.
La postface propose des informations clés sur ces mutilations sexuelles encore en vigueur dans de très nombreux pays, et s’accompagne de témoignages poignants et d’adresses utiles.
Un album indispensable, plein de colère, de délicatesse et de force !
Éditions Le Lombard – Parution mai 2016 – 17,95 €
17:55 Publié dans Lecture BD | Lien permanent | Commentaires (0)
29/02/2016
Communardes, tome 3
Communardes ! Nous ne dirons rien de leurs femelles – Tome 3, Wilfrid Lupano et Xavier Fourquemin
Marie n’est pas une intellectuelle, ni une aristocrate, encore moins une militante. La Commune, elle aurait pu ne pas la vivre, et continuer à accumuler de la rancœur et de l’amertume dans sa vie de servante, d’ouvrière à la journée. Seulement, la Commune est là et, avec elle, une occasion en or de régler les comptes, de laisser sortir enfin cette froide colère qui lui tord le ventre, de redresser la tête, de se venger de ceux qui ont fait de sa meilleure amie Eugénie un fantôme, dont le rire dément résonne dans une crypte de damnées. La Commune promet que les lâches et les oppresseurs d’hier vont payer. Ça tombe bien, Marie en connaît quelques-uns. Et elle est prête à se salir les mains...
Vents d’Ouest publie le troisième et dernier opus de cette saga consacrée à des personnages de femmes dans la Commune. Et quelles femmes ! De l’aristocrate russe, amie de Marx, qui organise des ateliers féminins autogérés (L’aristocrate fantôme) à la môme délurée qui prend la tête d’une bande de gamins pour tenter de sauver les éléphants du zoo tout en massacrant les Versaillais (Les éléphants rouges), ce sont des héroïnes fortes et hautes en couleur qui racontent cet épisode tragique de l’histoire de France, et surtout la place des femmes dans cette aventure.
Dans ce troisième tome, le plus sombre sans doute, la jeune Marie, servante chez de riches bourgeois, dont le père, gradé de l’armée et féru de chasse, exhibe fièrement les armoiries de la famille comme ses trophées, coule des jours heureux en compagnie d’Eugénie, la fille de la maison. Mais cette quiétude ne durera pas. Quand Eugénie tombe enceinte du beau libraire qui lui a fait lire Proudhon et Bakounine, elle est enfermée manu militari dans un couvent et Marie chassée.
Quelques années plus tard, on la retrouve sur les barricades, servant la soupe aux Communards, trouvant là l’occasion de se venger des oppresseurs d’hier. Elle y croise le libraire, aujourd’hui marié. Lorsque les insurgés attaquent le couvent de Picpus pour réquisitionner ses chambres, elle découvre la pauvre Eugénie, mais dans quel état… Le scénario ménage ce qu’il faut de surprises et de rebondissements, on reconnaît même au gré des cases l’aristocrate anarchiste et la petite fille rêveuse des premiers tomes (les histoires peuvent toutefois se lire indépendamment). Beaucoup d’émotion dans ce volume, parfaitement servi par le dessin précis et très réaliste de Xavier Fouquemin. Les tonalités chaudes et joyeuses des moments heureux alternant avec les couleurs plus sombres des instants plus tragiques.
Si l’ensemble reste bien triste, et rien d’étonnant à cela, nous connaissons tous l’effroyable fin de cette utopie, il y souffle malgré tout un vent de liberté et d’espoir ; ces femmes, dont le sort n’était guère enviable, même au sein de cette « révolution », ont semé les jalons d’un mouvement qui, s’il n’est pas au bout de ses peines, a vu les femmes s’émanciper et gagner des droits nouveaux.
Le regard que les auteurs posent ici sur la Commune (un sujet peu traité en général), avec un angle original (les femmes et leurs luttes) fait de ce triptyque une vraie réussite, à se procurer de toute urgence !
Vents d’Ouest – février 2016 – 14,50 €
11:35 Publié dans Lecture BD | Lien permanent | Commentaires (0)