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20/05/2013

Chanson : Une grande dame

J'avais 13 ou 14 ans, c'était à Saintes au théâtre Gallia. Sur la scène, une femme. Longue, les cheveux sagement lisses et la frange toute droite. Dans ses bras, une guitare, et puis, devant elle, un micro sur un pied. Eh, oui, à cette époque, il y avait encore des micros avec un pied sur une scène... Pendant tout le concert, elle ne lâchera pas sa guitare, ne quittera pas le micro, et pourtant, elle m'a fait voyager, pleurer, rire, espérer, me révolter. Elle, c'est Anne Sylvestre. Ça y est, je sens poindre votre sourire, pas moderne tout ça, hein?

Et bien, écoutez "Gay, marions-nous". Oui, d'accord, elle a peut-être surfé sur la vague ? Ah, mais ça date de 2007!

Depuis ses débuts, Anne Sylvestre nous parle du monde, de la justice, de la liberté, souvent bien en avance sur les débats de société : "Mon mari est parti" en pleine guerre d'Algérie, "Non, tu n'as pas de nom", trois ans avant la loi Veil, "Un bateau s'est cassé" lorsque l'écologie était encore un mot de scientifique.

Aujourd'hui, elle poursuit son chemin de mots avec un nouvel album "Juste une femme", un chemin qui nous parle de la tendre et digne "Violette", mais aussi du fragile "Habitant du chateau". L'humour est toujours là, avec un chouïa de souvenirs de luttes aussi, dans "Les calamars à l'harmonica", ou dans le "Portrait de moi". La chanson phare, comme on dit, c'est "Juste une femme", un réquisitoire ciselé, plein de colère et de rage, mais avec toujours cette élégance d'écriture qui est la marque de la dame : 

Peit monsieur petit costard / petit' bedaine / petit' sal'té dans le regard / petit' fredaine / petite poussée dans les coins / sourire salace / petit' ventouses au bout des mains / comme des limaces / petite crasse

Il y peut rien si elles ont des seins / quoi il est pas un assassin / il veut simplement apprécier / c'que la nature met sous son nez

Mais c'est pas grave / c'est juste une femme / C'est juste une femme à saloper / juste une femme à dévaluer / j'pense pas qu'on doive / s'en inquiéter

..... / ....

Mais dès qu'une femme / messieurs Mesdames / est traitée comme un paillasson / Et quelle que soit la façon / Quelle que soit la femme / Dites-vous qu'il y a mort d'âme

C'est pas un drame / Juste des femmes

Diriez-vous toujours que ce n'est pas moderne? Pas actuel? La beauté des mots, les arrangements ciselés sur lesquels se pose une voix toujours aussi juste, vibrante d'émotions et de colères, ça s'écoute aujourd'hui comme hier.

J'ai eu le bonheur de la voir une nouvelle fois au Casino de Paris. Alors, bien sûr, il y a eu quelques trous de mémoire, mais qu'importe, lorsque s'élève cette voix-là, on l'écoute, on rit, on pleure, on espére, on se révolte (eh, oui, comme il y a presque quarante ans). On partage, on se dit que l'on vit un de ces petits moments de vie plein de grâce et d'émotion.

La dame a fini son concert, a capela, avec un extrait de "Merci, oh merci":

Merci, mais merci / aux rares qui avaient compris / qu'il valait mieux attendre / merci, oui, merci / de ne m'avoir jamais rien dit / et d'avoir bien voulu comprendre / que je devais, libre / arriver jusqu'ici / Libre, libre, libre / Arriver jusqu'ici

Merci à vous, Madame, d'accompagner nos vies, avec de la tendresse et de la pudeur, avec des colères et des rires; merci de ne pas nous laisser oublier que la modernité n'est que la juste capacité à observer le monde et à se battre toujours, pour que change - peut-être, un peu - les choses et les gens...

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11/05/2013

Danse : Umusuna

 

umusunakitakyus-bd.jpgJe sais, je sais, encore un titre abscons.... "Umusu" signifie naître, commencer sa vie, venir au monde. L'idéogramme "Na" évoque la terre, le sol, le pays. Le tout est le titre du dernier spectacle d'Ushio Amagatsu, avec Sankai Juku, présenté au théâtre de la ville. Ushio Amagatsu est Japonais et fait partie de la seconde génération de danseurs Butô. Le Butô naît dans le Japon post-Hiroshima et jette les bases d'une approche radicale de la danse contemporainne japonaise. La compagnie Sankai Juku, exclusivement masculine, présente sa première représentation d'importance en 1978. Tous les danseurs vivent toujours au Japon, mais viennent aujourd'hui régulièrement présenter, voire créer, leurs oeuvres dans le monde entier.

Composé de sept tableaux, "Umusuna" est d'abord un décor, un environnement plutôt, minéral, immobile et mouvant à la fois : du sable, omniprésent sur scène, jusqu'à cette ligne coulante qui suinte comme en un sablier tout au long du spectacle. Ce sont deux plateaux, comme une balance cosmique, qui penche d'un côté, de l'autre, oscille jusqu'à l'équilibre subtil du dernier tableau. C'est aussi un extraordinaire travail sur la lumière : blanche dans le temps immmobile - Empreintes - rouge pour la naissance - Tout ce qui naît - bleue comme l'eau - Mémoire(s) de l'eau - verte dans le renouveau - Miroirs des forêts -...  umusuna2.jpg

Et puis, il y a le geste, mesuré, précis, juste. Sankai Juku pourrait sembler froid, profondément ancré dans une perfection et une économie de mouvements qui interdirait toute émotion. Pourtant, c'est tout l'inverse qui se produit. Très vite, la fascination qu'exerce   ces tableaux emporte le spectateur dans un univers entre   conscience et hypnotisme. L'extraordinaire fluidité des  mouvements, la maîtrise absolue dont fait preuve chacun   des huit danseurs dessinent une envoûtante calligraphie où  l'on se perd, se retrouve pour mieux se reperdre. Ushio   Amagatsu réussit le tour de force de ne pas raconter une histoire, mais d'offrir à chaque  spectateur la possibilité d'imaginer et de se raconter des  histoires.

umusuna.jpgAssister à un spectacle de Sankai Juku, c'est une expérience intime et universelle à la fois, où les émotions se succédent, s'entremêlent, se répondent pour colorer l'existence, le temps d'une soirée, d'un peu de magie et de grâce.

 

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